Il y a un moment très particulier, vers la fin du film « Margin Call » :
où Sam Rogers (Kevin Spacey), le « capitaine » des traders (celui qui mène ces soldats à l’attaque, contrairement aux généraux d’état major qui ne se soucint pas de ces contingences, et ont justement besoin des officiers inférieurs pour faire le sale boulot) monte au restaurant « s »expliquer » avec le grand patron de la firme :
John Tuld, joué par Jeremy Irons
ce nom renvoie évidemment à celui du PDG de Lehman Brothers :
Richard Fuld (surnommé parait il Big Dick, mais mes connaissances en anglais sont assez pauvres )
http://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_S._Fuld,_Jr.
n intéressant article sur la morale sexuelle de « ces gens là » : tout collaborateur de haut niveau devait être marié, et fidèle (enfin…sauf les « à côté » avec les escorts et les filles nues venues faire de l’animation pour les jours d’anniversaire mais ça..) :
http://www.vanityfair.com/business/features/2010/04/test2
ce haut sens moral rappelle un peu celui , dans « Casino » de Scorcese, des pontes mafiosi du Middle West qui « ne pouvaient pas aller plus loin que Kansas City sans se faire arrêter » et qui détestent que leurs « collaborateurs », à flingue ou à mallette, couchent avec la femme du voisin, c’est mauvais pour les affaires….. ils détestent tellement ça que celui qui passe outre , il ne lui reste quand les « pontes » l’apprennent, que quelques heures à vivre….
Bref… au cours de cet entretien à haute teneur « philosophique » au restaurant, Jeremy Irons alias John Tuld alias « Big dick » Dick Fuld , le big boss, qui lui peut aller (ou pouvait aller, à cette époque) partout sans se faire arrêter, finit par lâcher :
« si ce que nous faisons est vain, alors tout cela (il montre l’extérieur du building) est vain »
si je ne me trompe, de tels propos figurent déjà dans la Bible, non ?
« 1.2 Vanité des vanités, dit l’Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité.
1.3 Quel avantage revient-il à l’homme de toute la peine qu’il se donne sous le soleil?
1.4 Une génération s’en va, une autre vient, et la terre subsiste toujours.
1.5 Le soleil se lève, le soleil se couche; il soupire après le lieu d’où il se lève de nouveau.
1.6 Le vent se dirige vers le midi, tourne vers le nord; puis il tourne encore, et reprend les mêmes circuits.
1.7 Tous les fleuves vont à la mer, et la mer n’est point remplie; ils continuent à aller vers le lieu où ils se dirigent.
1.8 Toutes choses sont en travail au delà de ce qu’on peut dire; l’oeil ne se rassasie pas de voir, et l’oreille ne se lasse pas d’entendre.
1.9 Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. »
http://bible.evangiles.free.fr/ecclesiaste%201.html
seulement il y a une différence énorme entre les deux « discours philosophiques », comme quoi Big Dick Fuld ne l’a quand même pas aussi grosse que YHVH….
cette différence est dans le :
SI
comme le diable dans les détails
SI cela est vain, alors tout est vain…
et soyons sincères : bien que nous ne soyions pas tous aussi bien « pourvus » , par la nature ou par l’esprit, que « Big dick » Fuld, nous sommes tous empêtrés dans ce détestable « SI » (IF, en anglais, titre d’un autre film admirable sorti vers 1969 avec Malcolm Mc Dowell qui devait en 1971 devenir Alex dans « Orange mécanique »)…
osons nier que nous ne nous surprenons pas quelquefois à penser :
« SI je ne parviens pas à mes fins sur ce coup là, alors tout est vain »
alors bien sûr, nous « évacuons » ce genre de mauvaises pensées, en buvant un coup ou autre « acte libérateur »…
mais le mal est fait, ou pensé, ce qui est pire !
car :
« Tout ce qui est voilé sera dévoilé, tout ce qui est caché sera connu. «
http://www.aelf.org/bible-liturgie/Lc/chapitre/chapitre/12
comme dit Notre Seigneur, celui que Renan appelle le Grand Maître de la morale, ce dont conviendront sûrement les pontes mafiosi du Middle West, tous bons catholiques…
Au fond, le salut spirituel (qui n’est pas forcément celui des judéo-chrétiens comme Big Dick Fuld ou les pontes mafiosi) est « sagesse de femme et jeu d’enfant » comme l’ancienne Alchimie : il ne réclame pas de « faire quelque chose » mais de défaire, et de laisser tomber le SI !
Et de dire avec l’Ecclésiaste :
Tout est vanité !
Raymond Chandler (qui avait ses habitudes à Hollywood) l’a dit avec encore plus de classe dans « La dame du lac » (me semble t’il) par la voix du détective privé Phillip Marlowe :
« Rien n’est plus vide qu’une piscine vide »
dans le même roman il décrit la lutte intérieure d’un ivrogne avec la tentation de finir la bouteille et Marlowe désabusé déclare :
« comme toujours ce fut la bouteille qui gagna«
Eh oui !
au fond le monde, et tous ses plaisirs ou chagrins (« la joie venait toujours après la peine ») , qu’est il d’autre qu’une immense piscine vide ?
pourquoi pas celle de Sunset Boulevard (« Boulevard du crépuscule » ), où au début du film les rats voisinent avec les feuilles mortes ?
et pourtant dans cette piscine vide, certains se noient , d’autres surnagent, et quelques uns (les « happy few », mais je doute que Stendhal ait visé ce genre de salopards) , se changent de « rats » en requins (de la finance ou d’autre chose)… jamais en baleine blanche, ce serait plus poétique ! ?
pourquoi se lever puisqu’il faudra se recoucher ? pourquoi faire des enfants puisqu’ils devront disparaitre, quelques années après nous ?
et la bouteille est toujours finie avant le petit matin !
c’est intolérable : on nous joue, on nous manoeuvre sur l’échiquier du Néant !
Oui, laissons tomber le « SI » , et de requin, ou de mouton (ou maton) de Panurge nous deviendrons… philosophes , engagés dans ce qui n’est pas vain, la recherche de la Vérité !
car enfin : un animal, entièrement « comblé » par le jeu de la vie , ce chatoyant et cruel spectacle, pourrait il émettre un tel jugement sur « la globalité du spectacle » ?
Si nous laissons tomber le « SI » , et sommes persuadés de ce que nous disons, alors nous disposons d’une première vérité !
une drôle de vérité d’ailleurs, qui ne passerait pas la barre au concours des mathématiciens traders (ou « spécialistes des fusées » ) car elle est auto-réfutante :
car si je dis en le pensant que « Tout est vanité » et que tout est effectivement vain, alors je dispose d’une Vérité éternelle, et tout n’est donc pas vain…
l’éternité c’est quelque chose !
« Une génération s’en va, une autre vient, et la terre subsiste toujours »
seulement l’Ecclésiaste nous attaque de manière perfide et tente de nous forcer à jeter ce premier acquis bien maigre :
« 1.12Moi, l’Ecclésiaste, j’ai été roi d’Israël à Jérusalem.
1.13J’ai appliqué mon coeur à rechercher et à sonder par la sagesse tout ce qui se fait sous les cieux: c’est là une occupation pénible, à laquelle Dieu soumet les fils de l’homme.
1.14J’ai vu tout ce qui se fait sous le soleil; et voici, tout est vanité et poursuite du vent.
1.15Ce qui est courbé ne peut se redresser, et ce qui manque ne peut être compté.
1.16J’ai dit en mon coeur: Voici, j’ai grandi et surpassé en sagesse tous ceux qui ont dominé avant moi sur Jérusalem, et mon coeur a vu beaucoup de sagesse et de science.
1.17J’ai appliqué mon coeur à connaître la sagesse, et à connaître la sottise et la folie; j’ai compris que cela aussi c’est la poursuite du vent.
1.18 Car avec beaucoup de sagesse on a beaucoup de chagrin, et celui qui augmente sa science augmente sa douleur. »
seulement il se passe ici quelque chose d’inouï qui rend tout eoil immobile :
« Mais alors il advint quelque chose qui fit taire tout discours et rendit tout rebard immobile . Car pendant ce temps le danseur de corde s’était mis à l’ouvrage »
nous avons donné dans un autre blog des leçons à Allah :
http://horreurislamique.wordpress.com/
nous n’hésiterons pas à faire de même avec YHVH ici, ne fût ce que pour un noble motif de non discrimination laïque et égalitaire !
Il n’est pas vrai que « rien de nouveau sous le soleil »
certes les kabbalistes nous assurent que le « Soleil » dont il est parlé ici est en fait la Sephira « Tipheret », et que ce qui est « sous le soleil » désigne les Sephirot inférieures, Malkuth , Yesod , Hod, Netzah…
Eh bien non ! nous refsuons ce genre de facilités « ésotérique » et mystérieuses…
démocrate, rationaliste et laïque jusqu’au bout des ongles, vous dit le Monsieur !
il y a bien quelque chose de nouveau qui vient après la Sagesse, certes admirable, de la Bible, c’est Copernic, Galilée, Descartes, Spinoza et la science moderne !
et je suis bien désolé de dire en face (tout en restant en vie, faisant mentir Avenou Moshe) à D-ieu que je préfère à tous les Livres sacrés , comme aux soupes de lentilles, mon modeste crouton de pain consistant en cette première vérité :
« tout est vain, donc émettre ce jugement n’est pas vain puisque c’est vrai, donc tout n’est pas vain »
il me semble que le grand Herman Melville parlait à des gens tels que nous lorsqu’il commençait son « Pierre ou les ambiguïtés » par :
« O toi ! malheureux à qui la Vérité, en ses premières vagues, n’apporte que des épaves »