la dualité de l’Etre et de l’Un

le terme « toposophists », ou « toposophers », est en provenance des « working mathematicians » dans la théorie des catégories, il possède sans doute une nuance « humoristique »…

bien entendu je ne suis pas digne de délier le lacet de la chaussure de ces grands Travailleurs, héros de la pensée pure, mais je me risquerai ici à emprunter ce terme pour désigner une nouvelle « discipline », ou plutôt le projet d’une telle innovation, qui est en dehors du strict domaine mathématique (sinon ce blog serait sans aucun intérêt, face aux centaines d’autres qui en restent à ce domaine), et vise à fonder une philosophie enfin entièrement « scientifique » et rigoureuse.

En un mot comme en cent : la toposophie consiste à utiliser la force-de-pensée (terme emprunté à François Laruelle) ou , disons,  la puissance de la pensée « solide » des mathématiques (et principalement de la théorie des topoi et des topoi supérieurs, ou n-topoi), pour fonder cette nouvelle et définitive philosophie, censée réaliser le vieux projet de Mathesis universalis cartésien et leibnizien, ou celui de « messianisme » de Wronski, en une union absolue de la science, de la philosophie et de la religion (appelée « christianisme de philosophes », et devant dépasser les logoi chrétiens et juifs en une fondation péremptoire de la Vérité sur la Terre, en une âme et un corps).

Donnons ici un premier exemple , très simple, dérivé presqu’ immédiatement des indications que j’ai données ici ou là sur l’essence fonctorielle de la loi de création de Wronski.

On sait que j’ai remplacé le vieux fatras métaphysique et « onto-théologique » de l’Etre et de l’Un par l’immanence duelle de deux orientations radicalement opposées de la pensée : selon l’Etre et selon l’Un.

J’ai aussi donné les références des travaux, extrêmement importants à mon sens, de Franck Jedrzejewski sur les diagrammes et les catégories :

https://meditationesdeprimaphilosophia.wordpress.com/2012/04/24/en-france-du-nouveau-franck-jedrzejewski-diagrammes-et-categories-these-et-introduction/

travaux de lecture assez « difficile » pour ceux qui ne sont pas habitués à la strict discipline du Mathème, de cette « mathématique sévère » qu’invoquait Lautréamont, mais pour lesquels nous avons heureusement une « introduction » en 6 pages très denses :

http://nessie-philo.com/Files/jedrzejewski_dcintro.pdf

notez la différence des attitudes entre les deux « femmes » qui tentent d’orienter l’Amoureux (aucun rapport avec la future ex-présidente de France et ses chansons niaises) de la Lame VI du Tarot : la femme de gauche est la mathématique sévère et austère, elle ne promet aucun vil plaisir, mais une joie continue et souveraine acquise au prix d’un travail très long et très dur : celle de droite invite l’Amoureux à  « se rendre dans une vile maison suspecte se plonger dans le bourbier des voluptés dangereuses » , pour reprendre les termes balzaciens des « Illusions perdues »…nul doute que si le Tarot était « moderne », il la représenterait seins nus, et la main tripotant l’Amoureux un peu plus bas!

Vénus des carrefours !

mais l’Amoureux (nous tous, et nous toutes, car le sexe perd sa prédominance dans le domaine de l’Esprit) est libre de choisir le sang, la sueur et les larmes, ou bien… d’autres fluides, ceux que le général Jack Ripper appelle « précieux fluides naturels » dans « Dr Strangelove » de Kubrick…

mais revenons aux topoi et aux Saintes catégories !

attachons nous ici aux deux derniers piliers de ce quadrilatère épistémique de Franck  Jedrzejewski, à savoir l’universalité et la dualité.

J’ai déjà indiqué la nature entièrement différente de l’universalisme de la pensée catégorique par rapport à celui, dérivant en matérialisme et communautarisme, de la pensée ensembliste :

http://leserpentvert.wordpress.com/universalisme-abstrait-ou-concret/

aussi me contenterai je ici de souligner la simplification et le clarification conceptuelle (sens auquel aurait dû se limiter l’Aufklärung) qu’apporte la théorie des catégories :

-la dualité consiste à inverser le sens des flèches dans une catégorie

– l’universalité (des constructions appelées « universelles » en théorie des catégories) c’est quand il n’y a qu’une seule flèche possible pour « boucler », ou « faire commuter », un diagramme.

Voir la thèse de Franck Jedrzejewski pour plus de précisions, ou bien ces liens :

http://ncatlab.org/nlab/show/universal+construction

http://en.wikipedia.org/wiki/Universal_property

mais donnons dès maintenant un exemple qui servira par la suite à de nombreuses reprises : celle des notions catégoriques généralisant le produit (la multiplication des nombres) et la notion duale de coproduit, généralisant la somme (l’addition des nombres).

http://en.wikipedia.org/wiki/Product_(category_theory)

La figure suivante est un diagramme dont la « limite » donne le produit  :

Universal product of the product
 
et la flèche f  unique (à un isomorphisme près) en pointillé faisant « commuter » le diagramme est le produit des deux morphismes f1 et f2
 
La précision « à un isomorphisme près » est importante , c’est toujours le cas pour une construction universelle; rappelons qu’un isomorphisme est tout simplement une flèche inversible :
 
« Dans une catégorie C, un isomorphisme est un morphisme f:A\to B tel qu’il existe un morphisme g:B\to A qui soit « inverse » de f à la fois à gauche (g\circ f=\mathrm{id}_A) et à droite (f\circ g=\mathrm{id}_B).Il suffit pour cela que f possède d’une part un « inverse à gauche » g et d’autre part un « inverse à droite » h. En effet, on a alors

g=g\circ\mathrm{id}_B=g\circ(f\circ h)=(g\circ f)\circ h=\mathrm{id}_A\circ h=h,

ce qui prouve en outre l’unicité de l’inverse »

la notion duale de celle du produit est le coproduit, qui appliqué aux nombres donne la somme, l’addition :

http://en.wikipedia.org/wiki/Coproduct

Coproduct-03.png
 
le produit est un exemple de la limite d’un diagramme, le coproduit un exemple de colimite :
 
signalons dès à présent une aporie entre ces notions modernes et la loi de création de Wronski appliquée aux mathématiques : selon lui, le produit est l’élément neutre, la somme et l’exponientiation sont EE et ES, or on attendrait que la somme soit duale du produit, et donc que l’exponentiation soit l’élément neutre EN
 
à creuser plus tard…
 
remarquons aussi que le terme, catégorique, de « problème universel » appartient à la terminologie de Wronski, où il désigne un objet de la loi de création…à creuser plus tard là aussi !
 

La thèse, cruciale à mon avis, de Franck Jedrzejewski, sur la dualité de l’Etre et de l’Un, prend alors selon le cadre de pensée que nous venons de définir, et qui s’appuie sur la « solidité » et la rigueur de la pensée mathématique tout en sortant du champ strictement mathématique, prend alors un sens très simple.

Nous avons défini les trois éléments primordiaux de Wronski : élément-être, élément-savoir et élément neutre comme une adjonction de foncteurs reliant deux « catégories » jouant le rôle de EE (élément-être) et ES (élément-savoir):

EE   ⇄  ES

Mais ceci n’est qu’une définition-projet, ou proposition hypothétique de définition ; nous pourrions aussi retenir tous les foncteurs entre les deux catégories.

La « pensée selon l’Un », par laquelle nous remplaçons, dans un cadre de stricte immanence, l’hénologie et l’Un « ineffable », cela consiste à retenir les foncteurs orientés de EE vers ES.

La « pensée selon l’Etre » cela consiste à inverser le sens des flèches (des foncteurs) et à ne garder que ceux orientés de ES vers EE.

Ces deux « pensées », qui remplacent pour nous les « ineffables » métaphysiques que sont l’Etre et l’Un, sont alors automatiquement duales au sens de la mathématique !

puisque la dualité, c’est quand on inverse le sens des flèches !

rappelons tout de même (deux précautions valent mieux qu’une) que nous sommes là sortis du champ mathématique : nous serions bien en peine de donner une définition mathématique des deux catégories EE et ES !

puisque ce sont là deux « éléments primitifs » au sens de Wronski, de nature transcendantale donc, et qui ne seront jamais « objets », mathématiques ou non…

mais le sens immanent de ces notions est clair :

penser selon l’Etre, c’est s’orienter de ES vers EE, donc « descendre » des niveaux « plus unifiés » vers le niveau (impensable) de la multiplicité dite « pure », ou « inconsistante ».

penser selon l’UN, c’est, au contraire, et en sens inverse (d’où notre vocabulaire mathématique-catégorique) , « monter » des niveaux « bas », pris dans le multiple, vers les niveaux « plus hauts », « supérieurs », plus unifiés.

Expliquer, donner du sens, de l’intelligibilité, c’est toujours résoudre une multiplicité en une unité (provisoire); analyser, c’est aller en sens inverse, résoudre une « unité » (apparente) en ses composantes, pour progresser en connaissances..

les deux mouvements sont nécessaires !

ceci rappelle évidemment l’interprétation que j’avais donnée, en termes disons plus poétiques (ou plutôt prosaïques) de l’Echelle de Jacob :

http://www.blogg.org/blog-30140-billet-suave_mari_magno-1121061.html

http://www.blogg.org/blog-30140-billet-le_second_degre_de_l_echelle_de_jacob___amour_universel-1121364.html

mais je préfère laisser la parole aux vrais poètes, à Lamartine et à cette immense chef d’oeuvre qu’est « La chute d’un ange » :

http://fr.wikisource.org/wiki/La_Chute_d%E2%80%99un_Ange

et à la fin, d’une beauté terrible (15 ème vision) :

A l’immobilité de ce funèbre groupe
Il reconnut la mort ! et, renversant la coupe,
Il regarda couler sa vie avec cette eau,
Comme un désespéré son sang sous le couteau !
Puis, se roulant aux pieds des êtres qu’il adore,
Et frappant de ses poings sa poitrine sonore,
Pour courir autour d’eux bientôt se relevant,
Tel qu’un taureau qui fait de la poussière au vent,
Il ramassait du sable en sa main indignée ;
Et contre un ciel d’airain le lançant à poignée,
Comme l’insulte au front que l’on veut offenser,
Il eût voulu tenir son cœur pour le lancer !

« O terre ! criait-il, ô marâtre de l’homme !
Sois maudite à jamais dans le nom qui te nomme !
Dans tout brin de ton sable, et tout brin de gazon
D’où la vie et l’esprit sortent comme un poison !
Dans la séve de mort qui sous ta peau circule,
Dans l’onde qui t’abreuve et le feu qui te brûle,
Dans l’air empoisonné que tu fais respirer
A l’être, ton jouet, qui naît pour expirer !
Dans ses os, dans sa chair, dans son sang, dans sa fibre,
Où le sens du supplice est le seul sens qui vibre !
Où de tout cœur humain les palpitations
Ne sont de la douleur que les pulsations !
Où l’homme, cet enfant d’outrageante ironie,
Ne mesure son temps que par son agonie !
Où ce souffle animé, qui s’exhale un moment,
Ne se connaît esprit qu’à son gémissement !
Tout être que de toi l’inconnu fait éclore .
Gémit en t’arrivant, en s’en allant t’abhorre !
Nul homme ne se lève un jour de son séant
Que pour frapper du pied et pleurer le néant !
Que maudite à jamais, qu’à jamais effacée,
Soit l’heure lamentable où je t’ai traversée !
Que ta fange m’oublie et ne conserve pas
Une heure seulement la trace de mes pas !
Que le vent, qui te touche à regret de ses ailes,
De nos corps consumés disperse les parcelles !
Que sur ta face, ô terre ! il ne reste de moi
Que l’imprécation que je jette sur toi ! »

Pour unique réponse à son mortel délire,
L’air muet retentit d’un long éclat de rire.
Derrière un monticule il vit de près surgir
Les fronts de cinq géants et du traître Stagyr.
« Meurs, lui crièrent-ils, vile brute aux traits d’ange !
Ta force nous vainquit, mais la fourbe nous venge.
Laissons cette pâture aux chacals des déserts ;
Sa mort nous laisse dieux, et l’homme attend nos fers ! »
Ils dirent ; et tournant le dos, ils disparurent,
Et leurs voix par degrés sur le désert moururent.

Cédar, dont leur mépris fut le dernier adieu,
A cet excès d’horreur se dressa contre Dieu.
Tout l’univers tourna dans sa tête insensée ;
Il n’eut plus qu’une soif, un but, une pensée :
Anéantir son cœur et le jeter au vent.
Comme un gladiateur blessé se relevant,
Il cueillit sur les flancs arides des collines
Une immense moisson de ronces et d’épines
Autour du groupe mort où son pied les roula,
En bûcher circulaire il les accumula ;
Puis, prenant dans ses bras ses enfants et sa femme,
Ces trois morts sur le cœur, il attendit la flamme.

La flamme, en serpentant dans l’énorme foyer
Que le vent du désert fit bientôt ondoyer,
Comme une mer qui monte au naufrage animée,
L’ensevelit vivant sous des flots de fumée.
L’édifice de feu par degrés s’affaissa.
Du ciel sur cette flamme un esprit s’abaissa,
Et d’une aile irritée éparpillant la cendre :
« Va ! descends, cria-t-il, toi qui voulus descendre !
Mesure, esprit tombé, ta chute et ton remord !
Dis le goût de la vie et celui de la mort !
Tu ne remonteras au ciel qui te vit naître
Que par les cent degrés de l’échelle de l’être,
Et chacun en montant te brûlera le pied ;
Et ton crime d’amour ne peut être expié.
Qu’après que cette cendre aux quatre vents semée,
Par le temps réunie et par Dieu ranimée,
Pour faire à ton esprit de nouveaux vêtements
Aura repris ton corps à tous les éléments,
Et, prêtant à ton âme une enveloppe neuve,
Renouvelé neuf fois ta vie et ton épreuve ;
A moins que le pardon, justice de l’amour.
Ne descende vivant dans ce mortel séjour ! »

L’ouragan, à ces mots se levant sur la plaine,
Souffla sur le bûcher de toute son haleine,
Et dispersa la cendre en pâles tourbillons,
Comme un semeur, l’hiver, la semence aux sillons.
L’immobile désert sentit frémir sa poudre,
L’occident se couvrit de menace et de foudre ;
Des nuages pesants, pleins de tonnerre et d’eau,
Posèrent sur les monts comme un sombre fardeau ;
L’homme, le front levé vers la céleste voûte,
Du déluge sentit une première goutte.

 
voici le double mouvement :
Va ! descends, cria-t-il, toi qui voulus descendre !
Mesure, esprit tombé, ta chute et ton remord !
Dis le goût de la vie et celui de la mort !
Tu ne remonteras au ciel qui te vit naître
Que par les cent degrés de l’échelle de l’être,
Et chacun en montant te brûlera le pied ;
 
l’épilogue qui vient juste après, et clôture le livre, a l’apparence et la nature d’une retombée :
« Et le vieillard finit en disant : « Gloire à Dieu !
Dieu, seul commencement, seule fin, seul milieu,
Seule explication du ciel et de la terre,
Seule clef de l’esprit pour ouvrir tout mystère ! »
Il étendit la main pour l’invoquer sur nous !
Nous pliâmes, contrits, nos fronts et nos genoux ;
Comme un homme qui craint de renverser un vase,
Nous sortîmes muets de l’antre de l’extase.
Le navire aux mâts nus, endormi sur les flots,
A l’ombre du Liban berçait nos matelots.
Sous la vergue où le câble avait roulé les voiles,
L’hirondelle du bord en becquetait les toiles.
Le sifflet réveilla le pilote dormant,
Et le vaisseau reprit son sillage écumant »