Plus j’y pense plus je me rends compte que l’opposition fondamentale expliquée par Brunschvicg au premier chapitre de « Raison et religion », voir:
se retrouve un peu partout dans la littérature.
Les deux volumes de « La montagne magique » sont lisibles gratuitement ici:
Tome 1
http://www.ebooksgratuits.com/pdf/mann_la_montagne_magique_1.pdf
Tome 2:
http://www.ebooksgratuits.com/pdf/mann_la_montagne_magique_2.pdf
« La montagne magique » est beaucoup plus que de la « littérature » ou un simple « roman ». Comme le dit Thomas Mann lui même « c’est une œuvre hermétique ».
Je n’hésite pas à le dire: c’est l’oeuvre dont la lecture a changé le sens de mon existence, lui a donné une orientation entièrement différente, par rapport à la petite vie bourgeoise d’ingénieur ou de financier à laquelle me préparait mon éducation scientifique. Or ceci est exactement le cas du « héros » Hans Castorp, fils de famille bourgeoise qui se prépare à devenir ingénieur mais avant de commencer sa carrière vient visiter son cousin Joachim traité en sanatorium à Davos.
En un mot : ce n’est pas une simple lecture, mais une véritable
aventure de l’esprit
, et il est réservé à ceux qui sont disposés à se CONVERTIR et à entrer dans l’aventure.
Or ce n’est pas le cas de tout le monde et j’ai été souvent surpris par la réaction négative de beaucoup de mes « connaissances » à qui j’ai parlé de ma passion pour cette œuvre qui n’ont pas pu dépasser les premières pages. Des ami(e)s travaillant souvent dans le domaine scientifique bien sûr, mais pas seulement, je ne donne les deux liens suivants que pour montrer l’incompréhension qui est le destin de cette œuvre « scellée hermétiquement par sept sceaux »:
https://fr.m.wikipedia.org/wiki/La_Montagne_magique
et
http://antony64.free.fr/mann.html
J’avais moi même écrit deux articles il y a 6 ans:
Non, « La montagne magique » n’est pas une simple « histoire d’amour », c’est une histoire initiatique, or l’initiation n’est pas une sorte de « culte » à base de cérémonies mystérieuses : c’est le changement d’orientation, de polarité dont témoigne l’arcane XII du PENDU dans le Tarot : du plan vital vers le plan spirituel.
La polarité entre la « plaine » et la « montagne » que tout lecteur attentif saisira dans les premiers chapitres, entre le HAUT et le BAS, elle est entre le « plan vital » de ceux qui travaillent, fondent une famille dans la plaine, et le plan spirituel que trouvera Hans Castorp tout au long des sept ans qu’il passera au sanatorium alors qu’il y était venu seulement trois semaines en visite.
C’est qu’il avait, comme le dit plaisamment le médecin-chef le docteur Behrens, des « prédispositions à la maladie », alors que son cousin Joachim, qui rêve de retourner dans la « plaine » pour y devenir officier, n’en a pas du tout.
D’ailleurs c’est le cas de la plupart des malades du sanatorium, riches oisifs rentiers d’avant 1914 qui se trouvent être tuberculeux et peuvent mener là une existence de philistins, entièrement dévolue aux plaisirs de la table et peut être à d’autres, qui dégoûtent le très puritain Hans Castorp.
Mais il y a la belle et piquante Russe Clawdia Chauchat, qui trouve « plus moral de se perdre soi même que de vouloir se conserver », ce qui marque un dégoût certain de la vie bourgeoise et du plan vital, mais qui ne suffit pas à désirer l’orientation vers le plan spirituel.
Clawdia et Hans seront amants une seule « nuit de Walpurgis », elle repartira le lendemain pour quelques mois, et reviendra, mais accompagnée d’un milliardaire fascinant plus âgé : Mynheer Peperkorn.
Celui ci, qui symbolise évidemment le plan vital pleinement assumé, se suicidera lorsqu’il se rendra compte que son corps vieillissant ne lui permet plus de mener cette existence dévolue à tous les plaisirs, qu’ils soient sensuels ou « culturels ». Pour rester fidèles à la mémoire de cet homme de tant de poids, Hans et Clawdia prendront la décision du « grand renoncement », et elle repartira définitivement, tzndis que lui devra attendre Août 1914 et la guerre pour être libéré de la « montagne des péchés », pour aller sans doute mourir sous le feu des canons ennemis « dans la plaine ».
Comme je l’ai déjà dit l’opposition entre vital et spirituel n’EST PAS un dualisme, il faut donc un troisième élément pour neutraliser l’opposition si elle est de type dualiste : c’est ce qui arrive avec la polarité entre Léon Naphta le jésuite juif converti au christianisme Léon Naphta, contempteur de la modernité au nom de l’En Haut du Moyen Âge, et le « révolutionnaire » italien Settembrini, l’homme des Lumières.
Les deux ne cessent de se disputer l’âme de Hans, Settembrini le met en garde contre Clawdia « qui est l’ASIE », danger terrible pour l’homme européen qui est l’homme des droits donnés par l’Aufklarung du 18 eme siècle, et voudrait le voir repartir dans la plaine mener une vie d’ingénieur au service de la collectivité et du progrès.
Mais cette opposition est stérile et se terminera par un duel où Sttembrini tire en l’air et Naphta se suicide en le traitant de « lâche ».
L’élément neutre c’est Hans Castorp qui parviendra dans les songes « qu’il gouvernait » à trouver la voie médiane entre le luciférien Naphta et l’ahrimanien Settembrini.
Je fais là allusion à la polarité entre Lucifer et Ahriman (Satan) thématisée par Rudolf Steiner, reprise par Abellio, et qui est tout à fait valable à condition qu’on n’y voit pas, comme Steiner quand il tombe dans le délire anthroposophique, des « entités » spirituelles : ce sont simplement des tendances présentes en tout homme.
Ahriman c’est l’athéisme véritable c’est à dire considérer comme s’il n’y avait que le plan vital.
Lucifer c’est le mépris du plan vital mais au service d’une spiritualité illusoire : toutes les religions positives y tombent, ainsi que les sectes, deux autres luciférismes sont le nazisme et le communisme.
La voie médiane cherchée ici, « HENOSOPHIA τοποσοφια μαθεσις υνι√ερσαλις οντοποσοφια« , est différente de la voie hermétique décrite par Thomas Mann, réservée à de rares élus dont on peut se demander s’ils peuvent exister en notre monde contemporain où la plaine a rejoint la montagne des péchés, puisque Davos est devenu le lieu annuel du rendez vous des « décideurs économiques et politiques » qui mettent en œuvre la mondialisation, c’est à dire l’ahrimanisation et l’extension sans limite du plan vital.
Je suis sérieux en affirmant que la Mathesis est la véritable pensée démocratique (aucun rapport avec la démocratie des élections tous les 5 ans, dénoncée à juste titre par Alain Badiou), à la portée de tout le monde mais sous la condition impérative d’un travail énorme et d’une ascèse vitale et intellectuelle-spirituelle : la « pauvreté en esprit » comme l’appelle Brunschvicg après l’Evangile.
Et je commence à être persuadé que cette pauvreté en esprit doit être accompagnée d’une relative pauvreté matérielle…