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Mac Lane, Bourbaki et la théorie de l’adjonction

J’ai déjà parlé de cet article de David Ellerman titré  » Mac Lane, Bourbaki and adjoints : à heteromorphic perspective » , un article à vocation historique qui explique pourquoi Pierre Samuel ( membre du collectif Bourbaki) a frôlé en 1948 l’invention de la notion de foncteurs adjoints qui fut réservée à Daniel Kan en 1958. Au total Bourbaki fit le choix à la fin des années 40 ou au début des années 50, de ne pas utiliser pour fonder les mathématiques le formalisme des catégories et foncteurs, issu en 1945 des travaux d’Eilenberg et Mac Lane pour remplacer celui de la théorie des ensembles, ce qui entraîna la démission d’Alexandre Grothendieckdu groupe.

Mais comme d’habitude David Ellerman illustre son propos à l’aide de la théorie des hétéromorphismes, voir:

David Ellerman: théorie hétéromorphique de l’adjonction

En fait l’explication est assez simple : Pierre Samuel(pour Bourbaki) s’est arrêté à mi-chemin parce qu’il n’avait pas à sa disposition le langage catégorique, le probleme de construction universelle qu’il se posait revient, en termes modernes, à étudier un bifoncteur W (cf l’article ci dessus pour l’explication de cette terminologie chez Ellerman):

W: X op × A → Ens

et à chercher un élément universel pour W(x, -) pour tout x.

Ce qui revient à chercher des objets canoniques de la catégorie A, de forme Fx
donc, tels que :

W( x,a) ≅ HomA (Fx, a)
On est ici très proche de la formulation d’un probleme de recherche de foncteur adjoint: trouver des objets formés selon un procédé canonique Fx tels que :

Hom X( x, Ga) ≅ Hom A (Fx,a)

En 1948 Pierre Samuel se pose un « problème universel »( » Universal mapping problem »), notion qui remonte à Wronski voir notre article:

L’idée de « problème universel » : un important promontoire pour une vision de l’unité de la mathesis

Ce qui revient (dans le langage des foncteurs représentables inventé ultérieurement, ironie de l’histoire, par Grothendieck) à chercher une représentation à gauche du bifoncteur Het, voir page 4 de cet autre article d’Ellerman:

Cliquer pour accéder à Het-Theory.pdf

En fait l’adjonction équivaut à la représentabilité à gauche et à droite du bifoncteur Het, selon l’équation complète qui décrit une adjonction justement comme représentation à gauche et à droite du bifoncteur Het:

HomA( Fx,a) ≅ Het(x,a) ≅ HomX(x,Ga)

Samuel est resté trop sur sa gauche !!!

Au paragraphe 4 ( page 4 sur 16) de:

Cliquer pour accéder à Maclane-Bourbaki-Redux.pdf

David Ellerman donne une représentation diagrammatique illuminatrice du problème universel(« Universal mapping problem ») qui équivaut à la représentation à gauches uni s’écrit:

Hom A( F(x), a) ≅ Het (x,a)
(Trouver la représentation à gauche revient à trouver pour tout x une solution au problème universel consistant à faire commuter le diagramme au dessus, page 4 du texte d’Ellerman)
Par dualité Ellerman donne ensuite page 4 un autre diagramme , dual du précédent, qu’il appelle « Co-universal mapping problem » et qui équivaut à la représentation à droite du bifoncteur Het.
La solution des deux problèmes (universel et co-universel) , c’est à dire la représentabilité à droite et à gauche du bifoncteur Het, est une adjonction.
Ellerman cite le livre de Pareigis de 1970 qui parlait de « solution universelle au problème universel ».
Le lien de ce livre important de Pareigis « Categories and functors » est ici :

Bodo Pareigis : categories and functors

Ellerman consacre à Pareigis le paragraphe 5, page 5 à 7

L’idée de « problème universel » : un important promontoire pour une vision de l’unité de la mathesis

La notion de « problème universel » apparaît déjà chez Wronski où elle voisine avec celles de « loi suprême » et de « Teleiosis » dans la trinomie ou Sainte Trinité des idées de base du système. Voir ici:

Cliquer pour accéder à S0002-9904-1893-00135-3.pdf

l’article  du Professeur Echols « Wronski ´s expansion »où le probleme universel est assimilé à un cas particulier de la  » Loi suprême ».

Ce probleme est très clairement défini et Lagrange (pas le même que celui cité dans l’article précédent)le décrit ici (page 1) avant d’en donner la solution (fichier pdf recopié en bibliotheque de mon blog « mathesisuniversalis2.wordpress.com »):

Lagrange : solution du problème -universel de Wronski

Il existe une page Wikipedia qui explique la notion en termes d’objet initial ou final (notions duales) dans une catégorie :

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Problème_universel

« Par suite, demander qu’un objet soit initial le définit à isomorphisme canonique près. En d’autre termes, de telles définitions permettent de se concentrer sur l’essentiel (le comportement de l’objet défini) sans se préoccuper des détails de sa construction.

Bien entendu, une telle définition ne prouve pas l’existence de l’objet, qui doit éventuellement être prouvée par une construction. Elle ne fait que débarrasser la définition de l’objet de tout ce qui est contingent. En contrepartie, elle oblige à intégrer dans la définition les outils nécessaires et suffisants pour la manipulation de l’objet.
Quand un objet mathématique est défini de cette façon, on dit qu’il est défini par un problème universel. »

Objet initial et objet final sont deux exemples de limites d’un diagramme ( on les obtient quand on prend la limite ou la colimite du diagramme vide),voir:

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Limite_(théorie_des_catégories)

Où l’on signale voir le paragraphe « Définition » que réciproquement toutes les limites peuvent être vues comme des objets terminaux (donc des solutions de problèmes universels)dans une certaine catégorie , celle des cônes dans F, où F est le foncteur correspondant au diagramme dont on cherche la limite.

Wronski est le « cas » de la famille, Echols parle dans l’article cité supra de ses démêlés avec les « savants à brevets » , mais ne nous y trompons pas : c’est un génie absolu , et Balzac ne pouvait pas se tromper dans son admiration fascinée pour ce personnage « l’une des plus fortes têtes de l’Europe » et je ne pense pas que les mathématiciens ( ceux de Bourbaki et après) modernes auraient pu garder ce titre de « problème universel » s’ils n’avaient pas partagé cette admiration, surtout compte tenu de l’importance de l’idée et non plus du mot.Une idée, celle de problème universel, qui semble justement se situer au coeur des débats qui agitèrent le groupe Bourbaki dans les années 50 à propos de la théorie des catégories, qui était apparue en 1945, voire en1942.Cet article de Ralf Kromer porte justement sur ce sujet appartenant à l’histoire des idées: « La machine de Grothendieck se fonde t’elle seulement sur des vocables métamathématiques ? Bourbaki et la théorie des categories dans les années cinquante »

Cliquer pour accéder à smf_rhm_12_119-162.pdf

On y apprend plusieurs choses importantes :

-Samuel Eilenberg avait fui la Pologne très  tardivement , juste avant l’invasion nazie en 1939. Il s’installa aux USA sans problème, grâce à l’aide de la communauté mathématicienne, et travailla avec Saunders Mac Lane, c’est de leurs travaux en commun qu’est issue la théorie des categories en 1942 d’abord, mais surtout  en 1945 avec leur article séminal  » General  theory of natural équivalences ». Les idées de 1942 sont si l’on veut l’insémination, et l’article de 1945 la naissance, ou le baptême de la théorie. Eilenberg ne fut intégré au groupe Bourbaki que vers la fin des années 40. Il semble que Grothendieck grâce à un exposé qui avait été lu en son absence , alors qu’il se trouvait aux USA, avait gagné en grande partie la société des bourbakistes à la nouvelle théorie, qui entretenait des rapports étroits avec ce que Bourbaki appelait « structures » et qui forme la base du structuralisme si en vogue dans les annees 60, mais il se heurta à l’opposition d’André Weil, le mathématicien frère de Simone Weil (morte en1943, mais qui apparaît en compagnie de son frère sur certaines photos du groupe datant de 1938).Finalement ce fut ce dernier  qui gagna, Bourbaki refusa d’intégrer la théorie des catégories et Grothendieck démissionna du groupe.

Il semble qu’un certain article de Pierre Samuel (membre de Bourbaki) en 1948 intitulé « on universal mappings and free topological groups » ait une grande importance pour le sujet qui nous occupe, j’ai en tout cas trouvé plusieurs liens qui l’évoquent et lui accordent une place centrale, en liaison avec la notion de « problèmes universels » ( et je dois d’ailleurs signaler que d’après  l’article ci dessus de Ralf Kromer un thème récurrent de pensée chez Grothendieck  porte sur la commutativité des problèmes universels »(?)
 Il y a d’abord un article important sur le sujet des liens entre philosophie et mathématiques à travers la relation humaine et professionnelle de Jules Vuillemin et Pierre Samuel:

« Pierre Samuel et Jules Vuillemin: mathématiques et philosophie »

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01082189/document

Il s’agit selon son auteur de « présenter une des modalités actuelles possibles de relations entre mathématiques et philosophie » en prenant pour objet d’étude les contributions et réflexions des deux auteurs(Pierre Samuel pour la mathématique et Jules Vuillemin pour la philosophie) sur le concept général de structure et examinant plus précisément la notion de « problème universel ».

Ajoutons que si Vuillemin est défini comme un philosophe, c’est lui qui a écrit « Mathématiques et métaphysique chez  » un livre auquel l’article fait souvent allusion, ce qui n’est guère une coïncidence puisque Descartes est ce philosophe qui le premier a tenté d’appliquer la méthode mathématique en métaphysique.(voir page 2 notamment)

Un autre article qui s’intéresse à Pierre Samuel et au « probleme universel » est dû à David Ellerman que nous connaissons déjà pour ses travaux tournant toujours autour de l’universalité en relation avec l’adjonction des foncteurs :

« Mac Lane, Bourbaki and adjoints : a heteromorphic perspective « 

Cliquer pour accéder à Maclane-Bourbaki-Redux.pdf

C’est effectivement Ellerman qui utilise la notion d’hétéromorphisme ( flèche entre deux objets situés dans des categories différentes, alors qu’un (homo)morphisme relie deux objets situés dans une même catégorie), pour clarifier la notion d’adjonction et de propriété universelle . Les articles suivants portent sur ses travaux en ce domaine:

Foncteurs adjoints : hétéromorphismes et homomorphismes

David Ellerman : foncteurs adjoints et hétéromorphismes

Adjonction : Het-bifoncteurs et Hom-bifoncteurs

Foncteurs adjoints et hétéromorphismes : les Het-bifoncteurs

Dans l’article mentionné ici, David Ellerman , qui fait une plus grande part à l’histoire des idées que les autres, que nous avions étudiés auparavant, part d’une remarque de Mac Lane suivant laquelle Bourbaki a manqué de peu l’invention de l’adjonction en 1948, invention qui est comme nous l’avons vu la plus importante de la théorie des categories:

Une notion fondamentale : l’adjonction

Ellerman poursuit en assurant que là encore l’utilisation de la théorie non orthodoxe ( faisant intervenir les hétéromorphismes) permet de clarifier les choses et de comprendre que Pierre Samuel s’est approché d’encore plus près de l’adjonction que l’on ne pourrait le penser à première vue. Car c’est Pierre Samuel qui a rédigé en 1948, non seulement l’article dont je parlais plus haut sur les  » Universal mapping probleme » mais l’appendice au premier jet du traité « Algèbre » de Bourbaki. Il a trouvé la  » left representation solving to a universal  mapping problem » ce qui constitue une première moitié d’une adjonction, la seconde moitié étant une représentation duale , à droite .

Il faut rappeler ici , comme il est précisé dans les deux pages Wikipedia suivantes :

https://en.wikipedia.org/wiki/Adjoint_functors

https://en.wikipedia.org/wiki/Universal_property

qu’une adjonction peut être vue comme résolution d’un problème d’optimisation , formulation assez générale pour couvrir tous les problèmes rencontrés en mathématiques et en physique (qu’est d’autre la recherche d’extrema d’un lagrangien en physique qu’un problème d’optimisation ?) .

https://en.wikipedia.org/wiki/Adjoint_functors

« It can be said that an adjoint functor is a way of giving the most efficient solution to some problem via a method which is formulaic. For example, an elementary problem in ring theory is how to turn a rng (which is like a ring that might not have a multiplicative identity) into a ring. The most efficient way is to adjoin an element ‘1’ to the rng, adjoin all (and only) the elements which are necessary for satisfying the ring axioms (e.g. r+1 for each r in the ring), and impose no relations in the newly formed ring that are not forced by axioms. Moreover, this construction is formulaic in the sense that it works in essentially the same way for any rng….

….This is rather vague, though suggestive, and can be made precise in the language of category theory: a construction is most efficient if it satisfies a universal property, and is formulaic if it defines a functor. Universal properties come in two types: initial properties and terminal properties. Since these are dual (opposite) notions, it is only necessary to discuss one of them….

The idea of using an initial property is to set up the problem in terms of some auxiliary category E, and then identify that what we want is to find an initial object of E. This has an advantage that the optimization — the sense that we are finding the most efficient solution — means something rigorous and is recognisable, rather like the attainment of a supremum. The category E is also formulaic in this construction, since it is always the category of elements of the functor to which one is constructing an adjoint. In fact, this latter category is precisely the comma category over the functor in question.

....The two facts that this method of turning rngs into rings is most efficient and formulaic can be expressed simultaneously by saying that it defines an adjoint functor…..

….Continuing this discussion, suppose we started with the functor F, and posed the following (vague) question: is there a problem to which F is the most efficient solution?

The notion that F is the most efficient solution to the problem posed by G is, in a certain rigorous sense, equivalent to the notion that G poses the most difficult problem that F solves.[citation needed]

This has the intuitive meaning that adjoint functors should occur in pairs, and in fact they do, but this is not trivial from the universal morphism definitions. The equivalent symmetric definitions involving adjunctions and the symmetric language of adjoint functors (we can say either F is left adjoint to G or G is right adjoint to F) have the advantage of making this fact explicit. »

Rappelons quand même que l’adjonction est orientée : on écrit :

F\dashv G.

pour signifier que le foncteur  F est adjoint à gauche du foncteur  G et G adjoint à droite de F

ce qui est rappelé par le fait que F figure dans le membre de gauche de la famille de bijections qui explicite l’adjonction :

\mathrm{hom}_{\mathcal{C}}(FY,X) \cong \mathrm{hom}_{\mathcal{D}}(Y,GX)

Noter que le point historique expliqué par Ellerman est mentionné à la fin de la seconde page Wikipedia : portant sur la notion « universal property » :

« Universal properties of various topological constructions were presented by Pierre Samuel in 1948. They were later used extensively by Bourbaki. The closely related concept of adjoint functors was introduced independently by Daniel Kan in 1958. »

En 1948 Bourbaki (via Pierre Samuel) a effectivement manqué de passer de la notion de « propriété universelle  » à celle de foncteur adjoint , ce qui a été réalisé 10 ans plus tard, en 1958, par Daniel Kan dans son article « Adjoint functors » qui est ici :

Cliquer pour accéder à S0002-9947-1958-0131451-0.pdf

https://en.wikipedia.org/wiki/Daniel_Kan

La relation entre propriété universelle et adjonction peut aussi s’exprimer par la notion de foncteur représentable ce qui fait entrer en jeu une troisième page Wikipedia (est ce un hasard si ces trois pages sont excellentes ? ce qui n’est pas toujours le cas sur Wikipedia ? l’importance du sujet l’exige! là se trouve résumée toute la philosophie occidentale celle qui figure en notes de bas de pages de Platon selon Whitehead) :

https://en.wikipedia.org/wiki/Representable_functor

voir le dernier paragraphe « relation to universal morphisms and adjoints »

L’article est déjà assez lourd, nous étudierons l’article d’Ellerman dans un ou des articles suivants, en revenant aussi sur la forme qu’il utilise, celle  des hétéromorphismes , dans ses deux autres papiers et ensuite nous pourrons passer à l’article de Daniel Kan

 

 

 

 

l’UN et la pensée ensembliste

commençons notre « examen »de la pensée mathématicienne, à propos de l’Un et de l’Etre, de la manière la plus « simple » possible , qui est aussi celle suivie par Badiou dans « L’Etre et l’évènement » : la théorie des ensembles.

Nous pouvons adopter la même attitude que Badiou au début de « L’être et l’évènement »  pour éviter le supplice pervers de « tourner indéfiniment » dans le tourniquet des hypothèses du « Parménide » :

L’UN n’est pas

seulement en traduisant ceci, selon ce dont nosu avons convenu dans l’article précédent, en :

la pensée selon l’Un n’est pas la pensée selon l’être

méditer la question de l’être mène irrémédialbement au multiple, à l’autre que l’UN, à travers les étants, qui se disent de plusieurs façons, comme au début de l’Introduction à la métaphysique de Heidegger.

Un oiseau, un animal, un être vivant, ou bien une chose fabriquée, ou une pierre, ou un signe, ou un symbole, tout cela EST : l’Etre est l’autre que l’UN, l’ontologie est donc forcément la science du multiple pur, en cela Badiou a raison.

Dans la théorie des ensembles, le multiple, ce sont les éléments d’un ensemble :

x ∈ A

y ∈ A

etc.. : x et y sont éléments de l’ensemble A

dans la théorie pure, axiomatique , des ensembles, x et y sont à leur tour des ensembles, il n’y a pas d’éléments de base, de niveau zéro, puisqu’il n’y a qu’une seule notion, celel d’ensemble

http://en.wikipedia.org/wiki/Set_theory

Badiou enchaîne, comme on le sait , par :

l’UN n’est pas, mais il y a de l’un, ou encore : l’ un est le « compte-pour-un » qui enchaîne les éléments d’un ensemble à former une collection, un tout : cet ensemble justement

Un autre multiple qui apparaît est ce que Badiou appelle la représentation,à  savoir l’ensemble des parties d’un ensemble A, noté :

P(A)

un ensemble X est une partie de A, ou un sous-ensemble de A :

⊆  A

si tout élément de X est élément de A :

x ∈ X  implique  x ∈ A

le multiple  est donc dans la présentation (les éléments) ou la représentation (les parties, les sous-ensembles) d’un ensemble : penser selon l’être dans la théorie, ou la catégorie, des ensembles, c’est penser la présentation des éléments et la représentation des parties.

penser selon l’un, c’est penser le compte-pour-un qui fait que l’ensemble A est un ensemble « regroupant », ou « contenant » ses éléments, et ses parties.

Mais bien entendu, l’UN ne pourra être un ensemble, même l’ensemble de tout, c’est à dire en théorie des ensembles l’ensemble de tous les ensembles : car il est possible de démontrer facilement , à partir des paradoxes comme celui de Russell , qu’un tel ensemble est une notion inconsistante.

Formons en effet le concept des « ensembles qui ne s’appartiennent pas à eux mêmes, qui ne sont pas élément d’eux mêmes ».

C’est une notion apparemment évidente, et il faudrait ramer beaucoup pour trouver un ensemble qui est élément de lui même, et ce genre de notion est proscrit par toutes les théories « normales ».

Mais pouvons nous former la notion d’ensemble de tous ces ensembles qui ne sont pas éléments d’eux mêmes ?

appelons X cet hypothétique ensemble , de deux choses l’une :

-soit il ne s’appartient pas à lui même, mais alors il est un ensemble qui ne s’appartient pas à lui même, il est donc un élément de l’ensemble des ensembles qui ne s’appartiennent pas à eux mêmes, donc il est élément de l’ensemble de ces ensembles, qui est justement lui même, X , c’est à dire pour résumer :

si X n’est pas élément de X, alors X est élément de X

– soit il s’appartient à lui même, X est élément de X, mais alors il n’est pas un ensemble qui ne s’appartient pas à lui même, donc il n’est pas élément de l’ensemble de tels ensembles, qui est X, ou encore :

si X est élément de X, alors X n’est pas élément de X

dans les deux cas, nous aboutissons à une contradiction !

Nous pourrions dire que cette démonstration « formalise justement mathématiquement » la proposition philosophique que l’UN n’est pas.

L’Etre, ou les êtres, ce sont les éléments, qui sont toujours des ensembles.

La pensée selon l’un, c’est le compte-pour-un qui fait « tenir ensemble » les éléments d’un ensemble.

L’UN, ce serait , si l’UN était, un ensemble, l’ensemble de tous les ensembles, seulement c’est une notion incosistante, conclusion :

l’UN n’est pas.

Seulement cette démonstration s’appuie sur le fait, propre aux universels abstraits, qu’un ensemble, regroupant des objets ayant une propriété, n’a pas lui même cette propriété. Si l’universel est l’ensemble qui fait tenir ensemble ses éléments, alors cet universel est transcendant à ses « singuliers », les éléments, et à ses « particuliers », ses parties.

Or il existe une autre notion d’universel que celui de la notion ensembliste : c’est la pensée de l’universel concret, obtenue à partir de la théorie des catégories, comme on le voit dans les travaux de David Ellerman que j’ai commenté ici :

http://apodictiquemessianique.wordpress.com/universalisme-abstrait-et-concret/

http://mathesis.blogg.org/page-universalisme_abstrait_ensembliste_et_universalisme_concret_fonctoriel-747.html

http://www.ellerman.org/Davids-Stuff/Maths/Conc-Univ.pdf

« Dans la théorie platonicienne des Idées  ou formes (Eidê), toute propriété F donne lieu, est associée à un universel uF qui la représente de manière unique.

Un objet x a la propriété F si et seulement s’il « participe » à l’universel uF F(x) ↔ x μ uF  ( μ comme « metexis » est le signe de « participer ») (condition d’universalité)

Une théorie mathématique des universaux doit, en plus de cette relation binaire μ être munie d’une relation d’équivalence (cad réflexive , symmétrique et transitive) ≈ telle que l’on ait la condition d’unicité, ou plutôt d’isomorphisme :

si uF et u’F sont deux universaux associés à la même propriété F alors on doit avoir : uF ≈ u’(condition d’unicité)

Un universel est dit abstrait s’il ne participe pas à lui même : ¬ ( uF μ uF )

Il est dit concret s’il participe à lui même :  uF μ uF

On trouve dans la philosophie, et notamment chez Platon, des universaux des deux espèces, abstraits et concrets. Nous travaillerons ici à faire descendre Platon du Ciel en Terre, dans le même mouvement selon lequel Copernic avait projeté la Terre dans le Ciel : ce qui veut dire ne se soucier que des universaux concrets, à portée d’expérience et de pensée humaine, et « oublier » les formes existant « séparément », dans un monde Intelligible qui ne veut rien dire pour nous. Telle est la leçon que nous retenons de Brunschvicg et de sa réinterprétation de l’idéalisme platonicien (à la suite de Kant) et du pythagorisme (voir là dessus les deux articles à propos de « Spiritualisme et sens commun »).

Or deux théories très générales se présentent à nous en mathématiques, très différentes de par la « relation de participation » qu’elles proposent :

– la théorie des ensembles, où la relation de participation μ est la relation d’appartenance à un ensemble : ∈ ; x participe à B si et seulement si x appartient, ou est un élément, de l’ensemble B : x ∈ B

– et la théorie des catégories, où la relation de participation proposée par ellerman est celle de « factorisation unique par un morphisme », intervenant fréquemment pour définir une « construction universelle » (exemple : le produit tensoriel classique d’espaces vectoriels) :

     x participe à y si x,y sont objets d’une catégorie C et s’il existe un morphisme unique μ dirigé de x vers y : 

                                     μ :  x → y

Or les universaux ensemblistes sont abstraits, car le paradoxe de Russell a encouragé les mathématiciens à éliminer les ensembles qui s’appartiennent à eux mêmes (Badiou les retient dans l’Etre et l’évènement pour formaliser l’évènement justement, soit ce qui n’appartient pas à l’ontologie mathématique « normale » : l’évènement est une rupture du « normal »). »

Nous venons de voir plus haut, à partir du paradoxe de Russell, que dans la pensée ensembliste, qui est un « modèle mathématique » de la pensée selon l’être, de ce qui correspond à l’ontologie dans notre shcéma idéaliste, les universels, les ensembles, ne peuvent être qu’abstraits.

Mais dans la théorie des catégories, qui est un modèle, LE modèle mathématique de ce que nous appelons pensée selon l’un, les universels sont tous concrets, puisqu’un des seuls axiomes de cette théorie est que pour tout objet Y d’une caégorie, il existe toujours un morphisme identité :

« Dans la théorie des catégories, la forme même de la condition d’universalité de la participation μ :  x → y

fait que tout universel y est toujours concret. Ceci est garanti parun des axiomes de la théorie, qui est l’existence d’un morphisme identité Id pour tout objet u :

                                     Idy :  y → y« 

conclusion : dans ce type de pensée, qui est supérieure à la pensée ensembliste, comme en conviennent les mathématiciens modernes qui ont remplacé la théorie des ensembles (encore retenue par Bourbaki) par la théorie des catégories pour fonder les mathématiques , les thèses de Badiou , opposant un « évènement » modélisé par un ensemble anormal, s’appartenant à lui même, et donc proscrit par l’ontologie, à l’être des ensembles normaux, ces thèses s’effondrent.

Car dans la théorie des catégories, tous les universels sont concrets , il n’y a, en somme, que des évènements !

Ce n’est guère étonnant, puisque la pensée catégorie part des morphismes, c’est à dire des transformations, de ce qui forme la substance du changement.

Un évènement est quelque chose qui arrive, un changement : dans la pensée selon l’un, il n’y a que des changements, des évènements, qui arrivent…