Archives quotidiennes :

De l’être (multiple pur) à l’Un : le programme de travail de l’ οντοποσοφια

Lorsqu’Alain Badiou dans « L’être et l’évènement » a affirmé (et « démontré ») que l’ontologie, auparavant considérée comme le coeur de la philosophie, portant sur l’être en tant qu’être, était la mathématique, sous les espèces de la théorie axiomatique des ensembles de Zermelo-Fraenkel, il a réalisé une sorte de « révolution » qui a enthousiasmé certains, irrité d’autres…

Nous gardons comme point de départ cette thèse de Badiou, mais seulement comme point de départ : la théorie des ensembles c’est seulement une partie des mathématiques, qui certes a été utilisée comme cadre fondationnel de toute la mathématique.

Aujourd’hui c’est la théorie des catégories, créée en 1945, qui joue ce rôle, et les ensembles ne forment qu’une catégorie particulière: la catégorie ENS des ensembles, qui est aussi un topos.
De plus un ensemble est une catégorie, où il n’y a pas de flèches entre les objets (qui sont les éléments de l’ensemble), on appelle cela une 0-catégorie, les catégories « normales » sont les 1-catégories.

L’être comme multiple pur, que nous gardons de Badiou, correspond aussi à l’état de complète ignorance : la science consiste à établir des relations de plus en plus complexes entre les phénomènes.

En quoi consiste ce multiple pur ? nous pourrions répondre de manière évasive en disant que c’est « tout ce qu’il y a » ou « tout ce qui est, tous les étants » mais de toutes façons nous n’allons plus perdre de temps avec ces discussions stériles de ce genre car voici le programme de la nouvelle discipline que nous voulons développer ici :

remplacer les thèses métaphysiques ou « mystiques » sur l’Un, l’Etre, le Vrai, le Bien (les quatre transcendantaux de la métaphysique : ens, unum, verum et bonum) par la mathématique et ses théorèmes, sur lesquels par définition tout le monde s’accorde puisqu’ils sont établis à partir de définitions et de principes et axiomes clairs, entièrement transparents à l’intelligence, et démontrés.

Dans notre perspective idéaliste mathématisante nous dirons que le multiple pur, correspondant à l’état d’ignorance et de sauvagerie complète, est celui des « chocs sensibles » réels ou potentiels expérimentés par un être humain, quelqu’il soit.

Ces chocs sensibles, rencontre de l’humain avec la « forme d’extériorité », sont très divers: visuels, auditifs, tactiles, etc…

Prenons un exemple (mythique) célèbre : Newton reçoit une pomme sur la tête, il en sort l’idée de la gravitation.
Par contre tel primitif recevant une noix de coco (ou plutôt une châtaigne, il aura moins mal) n’uara pas l’idée de relier cette occurrence à d’autres évènements similaires dans le passé : il se contentera de se frotter la tête en émettant un grognement de douleur.

Cet état d’ignorance complète n’est jamais observé : nous sommes tous déjà pris dans un réseau de langages, de noms, et de « connaissances ».

Mais avant la ligne de démarcation du 17 ème siècle européen:

La ligne de partage des temps

ces « savoirs » n’en sont pas réellement, en tout cas en ce qui concerne la physique, et l’homme reste un « grand marché de mots » (ce qu’il redevient d’ailleurs de nos jours) : seuls les relations de la science, les μαθηματα, peuvent l’en libérer, et l’émanciper ainsi des superstitions de sa tribu.

Contentons nous donc d’appeler « Etre » un des pôles du trajet de la conscience, correspondant à la conscience non développée, à l’ignorance, au multiple pur non unifié.

A l’autre bout du parcours nous aurons l’Un, mais là encore il s’agit d’une notions qui jusqu’ici appartenait à la métaphysique ou à la mystique, voir par exemple:

http://fr.wikipedia.org/wiki/Transcendantaux

ou

http://fr.wikipedia.org/wiki/Universaux

ou

http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Un

Nous remplaçons ceci, comme Badiou avec le compte-pour-un qui joint les éléments d’un ensemble en UN ensemble, par l’un comme opération mathématique, et plus largement par l’unification scientifique, qui aboutit à l’explication et à la compréhension.

De par un axiome de la théorie des catégories, toute catégorie est « UNE » en vertu d’un foncteur Identité:

Id : A ——-> A

Ces deux pôles, Etre (multiple, ignorance) et Un (unification et intelligibilité totale, Savoir, Connaissance complète) peuvent être rapprochés des éléments primitifs de Wronski :

EE (élément-être) ——> ES (élément savoir)

dont l’identité primordiale est l’élément neutre (EN).

Quant à nous, nous tâchons de « coller » le plus prés possible à la mathesis, qui seule obéit aux exigences philosophiques de démonstration (les « yeux de l’âme » selon Spinoza), de clarté des définitions et des procédés, et de vérification permanente.

Bien entendu il ne faut pas être maximaliste : nous parlons en langage commun (en français) mais nous gardons conscience qu’il nous faut toujours revenir à la mathématique pour vérifier que nous ne nous perdons pas dans les rêveries qui ne sont autres que le masque de l’instinct prenant la place de la Raison désintéressée, comme dit Brunschvicg:

« si les religions sont nées de l’homme, c’est à chaque instant qu’il lui faut échanger le Dieu de l’homo faber, le Dieu forgé par l’intelligence utilitaire, instrument vital, mensonge vital, tout au moins illusion systématique, pour le Dieu de l’homo sapiens, Dieu des philosophes et des savants, aperçu par la raison désintéressée, et dont aucune ombre ne peut venir qui se projette sur la joie de comprendre et d’aimer, qui menace d’en restreindre l’espérance et d’en limiter l’horizon. »

et cette précaution étant comprise et prise, nous caractériserons ce qui est selon nous le sens de l’existence humaine, de l’homme comme hérault de la Vérité et non comme esclave de l’idole de la tribu ou comme berger de l’Etre:

« Tout l’être doit passer en Savoir par les vérités éternelles, qui sont les théorèmes, organisées selon l’architectonique de la Mathesis qui est l’οντοποσοφια »

ce qui n’est rien d’autre que le parcours complet de la conscience entre les deux pôles, Etre et Un (Unum = Bonum = Bien au delà de l’être, mais ens et unum non convertuntur) que nous avons décrit plus haut, et dont nous pouvons « parler » clairement puisqu’il n’est autre que la mathesis universalis, ou  οντοποσοφια