#BrunschvicgRaisonReligion les oppositions fondamentales : Moi vital ou Moi spirituel

L’ouvrage « Raison et religion », qui date de 1939, est ici:

http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/raison_et_religion/raison_et_religion.html

et la première opposition fondamentale est l’objet du chapitre I (à partir de la page 20).

« Il n’est guère à contester que Dieu a commencé par être imaginé à la ressemblance de l’homme ; pas davantage on ne met en doute que l’anthropomorphisme ait subsisté dans la pensée de nos contemporains, dissimulé seulement par l’euphémisme de l’analogie qui se laisse « ployer à tout sens ». Nous sommes immédiatement amenés à la question d’une portée capitale : l’homme attentif à l’idée qu’il a de soi en tirera-t-il la substance de sa représentation du divin, ou au contraire aura-t-il la force de l’en retrancher pour comprendre Dieu en tant que Dieu ? Et cette question à son tour n’aura de forme précise que si nous envisageons les différentes perspectives où l’homme s’apparaît. A travers l’identité trompeuse du vocabulaire les bases de la religion se transforment suivant le niveau de conscience où nous aurons porté notre idée de nous-même »

L’euphémisme de l’analogie, cela vise en particulier le thomisme et la scolastique, arabe ou latine, avec laquelle Descartes a rompu, c’est pour cela que nous le plaçons dans la position de « ligne de démarcation des Temps », ou si l’on veut de « cassure de l’Histoire en deux », à la place de Jésus-Christ, de Mahomet, de Marx ou Lénine, ou de Hitler, selon les écoles de « pensée »

La ligne de partage des temps

Mais c’est un autre passage de « Raison et religion » qui me semble le plus clair:

quelques citations éparses de Brunschvicg particulièrement éclairantes, voire illuminatrices

 « le propre de l’esprit est de s’apparaitre à lui même dans la certitude d’une lumière croissante, tandis que la vie est essentiellement menace et ambiguïté. Ce qui la définit c’est la succession fatale de la génération et de la corruption. Voilà pourquoi les religions, établies sur le plan vital, ont beau condamner le manichéisme, il demeure à la base de leur représentation dogmatique… ce qui est constitutif de l’esprit est l’unité d’un progrès par l’accumulation unilinéaire de vérités toujours positives. L’alternative insoluble de l’optimisme et du pessimisme ne concernera jamais que le centre vital d’intérêt; nous pouvons être et à bon droit inquiets en ce qui nous concerne de notre rapport à l’esprit, mais non inquiets de l’esprit lui même que ne sauraient affecter les défaillances et les échecs, les repentirs et les régressions d’un individu, ou d’une race, ou d’une planète. Le problème est dans le passage , non d’aujourd’hui à demain, mais du présent temporel au présent éternel. Une philosophie de la conscience pure, telle que le traité de Spinoza « De intellectus emendatione » , en a dégagé la méthode, n’a rien à espérer de la vie, à craindre de la mort. L’angoisse de disparaitre un jour, qui domine une métaphysique de la vie, est sur un plan; la certitude d’évidence qu’apporte avec elle l’intelligence de l’idée, est sur un autre plan«

Nous parlerons donc plutôt dans la suite de plan vital  et de plan spirituel (sans nous tenir constamment à cette décision) plutôt que de monde spirituel (comme Rudolf Steiner, ce qui a occasionné les outrances que l’on sait) ou même de Moi spirituel , ce qui rappelle fâcheusement aussi la terminologie anthroposophique, après 1900, une fois la rupture accomplie avec la période purement philosophique de la « Philosophie de la liberté ».

Mais attention, Brunschvicg dit aussi (ce qui dissipe toute équivoque avec l’anthroposophie, la théosophie ou autres spiritualités sectaires):

« l ne s’agit plus pour l’homme de se soustraire à la condition de l’homme. Le sentiment de notre éternité intime n’empêche pas l’individu de mourir, pas plus que l’intelligence du soleil astronomique n’empêche le savant de voir les apparences du soleil sensible »

Il est impossible de « quitter complètement le plan vital » pour aller s’établir définitivement sur le plan spirituel : ce serait là ravaler ce dernier à l’autre, ou l’Esprit au monde, ce qui est la tendance constante des religions positives qui ont été incapables de concevoir absolument la différence des deux plans, malgré les avertissements de certains grands Maîtres spirituels (comme Maître Eckhart).

L’individu vivant doit mourir un jour, et disparaître complètement, l’au delà ou « autre monde » est simplement une terminologie abstruse pour désigner le plan spirituel, ou plan de l’Idée.

Ce qui est hélas possible, et fort fréquent, c’est d’être incapable de concevoir le plan spirituel dans sa véritable portée, et donc de croire qu’il n’y a que le plan vital, agrémenté ou non d’une « survie post mortem » : c’est là le véritable athéisme, et il concerne donc beaucoup de monde, y compris de « croyants » en un Dieu absurde comme le dieu des armées (« Elohim Tsebaoth » de l’Ancien Testament) de l’Islam ou du « Gott mit uns ») , qui croient sincèrement que les athées sont ceux qui se moquent de leur conception mesquine de Dieu.

Mais la lecture de la suite de ce chapitre les détrompera, s’il est possible….